Le coq et la Hotté du Diable

Publié le 29 avril 2025 à 14:17

 

Paris s’anime sous un ciel gris. Des jeunes slaloment en trottinette entre les passants qui marchent en tous sens. Sur la Seine, une péniche navigue tranquillement, transportant des containers.

 

Entre les rives, coupant presque le fleuve en deux, l’île aux Cygnes où des sportifs effectuent une séance collective.

 

Au loin, la rame du métro six passe sur le pont Bir-Hakeim et de nombreux véhicules ont envahi les routes créant un embouteillage, il est dix heures du matin et Pénélope est coincée sur la voie Georges Pompidou qui longe la Seine. Habituée à ce désagrément, elle patiente en contemplant la Tour Eiffel.

 

 

Le téléphone sonne : c’est sa maman. Elle vient aux nouvelles comme toutes les semaines et souhaite connaître le dernier épisode des aventures de sa fille à l’hôtel. Pour une fois Pénélope n’avait pas eu de problème de personnel mais les clients l’avaient épuisé.

 

Un groupe d’hommes d’affaires est venu en séminaire et Pénélope a passé beaucoup de temps avec leur coordinatrice pour ne rien manquer sur les heures de service en chambre ou les retours pressing des costumes. Un PDG lui a fait perdre la tête, aucune chambre ne lui convenait, il en a changé un nombre incalculable de fois.

 

Pénélope est fatiguée. Un ami passionné d’escalade, lui a parlé du site touristique « La Hotté du Diable », elle décide de s’y rendre pour décompresser.

 

         Une fois la conversation terminée, elle raccroche. Elle roule encore très doucement sur quelques mètres, dépasse un accident entre deux véhicules et peut reprendre sa route normalement.       Après une heure et demie, elle aperçoit un petit panneau indiquant l’emplacement du site.

Un grand espace en terre sous les arbres et entouré de barrières en bois permet de se garer facilement. Il y a peu de véhicules et elle est passée devant un bus scolaire stationné le long de la départementale.

 

Curieuse, Pénélope s’attarde un moment sur le panneau d’informations. Il indique la faune et la flore, la photo du lézard la répugne, elle espère ne pas en croiser. Un arrêté notifie que l’escalade est désormais interdite, elle va devoir s’en passer.

 

Enfin un dessin et un texte attirent son attention : une légende raconte que le diable, portant une hotte remplie de pierres sur son dos, fut apeuré par le chant du coq au petit matin alors qu’il construisait un bâtiment. Lorsqu’il décampa, sa hotte se brisa, laissant tomber les pierres.

Pénélope marche un long moment, déambulant entre les nombreux rochers, ce lieu lui donne l’impression d’être au fond d’un océan dépourvu de son eau. Certains rochers ont la forme d’un animal, il y a un dauphin qui flotte dans l’air, une tortue sortie de terre ou encore un dinosaure dont il ne reste que les os du crâne.

 

Elle est fascinée par ce chaos rocheux à l’ambiance presque magique puis Pénélope s’arrête pour admirer la plaine en contrebas.

La température est agréable, le ciel est bleu et le soleil rayonne. Elle reste ainsi un instant, comme en pause dans le temps. Lorsqu’elle ouvre son sac pour prendre son reflex, elle entend : « Bonjour ».

 

En levant la tête Pénélope aperçoit un chameau fait de pierre, la fixant avec de grands yeux. Elle se lève rapidement, laissant tomber son appareil, le chameau recommence à lui parler tout en bougeant son long cou. Apeurée, elle déguerpit. Désormais elle est seule, les promeneurs et les enfants ont disparu et tous les rochers ont pris vie. Elle continue sa course et voit son véhicule sur le parking mais elle ne peut pas l’atteindre, le sol semble s’être transformé en tapis roulant.

Elle stoppe sa course pour reprendre son souffle puis elle aperçoit une forme étrange se dandiner le long d’un d’arbre pour descendre. Un lézard, avec un manteau d’écailles vert clair vient à sa rencontre. Peu rassurée, elle recule de quelques pas, il s’arrête et la regarde. Elle constate avec stupéfaction qu’il porte des lunettes et qu’il parle. Il lui explique que pour quitter ce lieu, elle doit aller voir les deux têtes et qu’il va la conduire à elles.

Pénélope décide de le suivre puis elle arrive devant deux têtes en grès monumentales, peut-être trois fois sa taille. Elles dorment, tendue, elle dit :

- Excusez-moi.

Les deux têtes ouvrent les yeux, des yeux immenses qui la fixent sous des sourcils froncés montrant leur colère et lui répondent chacune leur tour :

- Hé t’es qui toi ! Qu’est-ce que tu veux ?

- Oui c’est vrai ça ! Qu’est-ce que tu veux ? T’es qui toi ?

 

Le lézard, toujours présent à ses pieds, tremble de peur et lui souhaite bon courage avant de fuir.

- Je voudrais rentrer chez moi. Comment faire ?

 

Elles répondent de nouveau l’une après l’autre :

- Ah tu voudrais rentrer chez toi ?

- C’est ce qu’elle vient de dire.

- Il faut attraper le coq.

- Évidemment qu’il faut attraper le coq.

- Oui c’est ce que je viens de dire. Le coq !

 

Pénélope arrive difficilement à en placer une :

- S’il vous plaît, que dois-je faire avec le coq ?

- Oh elle ne sait pas quoi faire avec le coq.

- Bah non elle ne sait pas quoi faire avec le coq.

- C’est ce qu’elle vient de dire.

- Quelle question, il faut l’apporter au grand malin.

- Oui c’est évident le grand malin.

- C’est ce que je viens de dire.

- Le grand malin en haut de la montagne.

Le grand malin… La légende du Diable avec sa hotte !

Elle reprend :

- Excusez-moi.

- Pourquoi tu répètes toujours ce que je dis ?

- Pourquoi moi ? C’est toi qui répètes.

- Messieurs s’il vous plaît !

Les deux têtes lui répondent en même temps :

- Quoi ??

- Où se trouvent le coq et le grand malin ?

Enfin, plus calme, elles lui répondent chacune leur tour avant de se rendormir :

- Dans le tipi derrière toi.

- Tu trouveras le grand malin en haut de la montagne au bout du chemin des fleurs.

Derrière Pénélope, un tipi, elle ne se souvient pas l’avoir vu avant. Lorsqu’elle s’approche, il y a un coq de toute petite taille qui dort paisiblement. Lorsqu’elle l’attrape pour le mettre dans mon sac, son cri est si intense qu’il lui donne la migraine.

Pénélope part ensuite sur le chemin des fleurs, éclairé par la lune. Après un long moment elle est au pied d’une montagne titanesque dont elle ne voit pas le sommet.

Pénélope commence à escalader et entend une voix lointaine. Est-ce que la lune l’appelle, ses cratères semblent former un visage.

Elle continue à grimper, elle a toujours ce mal de tête et brusquement une douleur intense frappe son poignet gauche et des fourmillements enveloppent sa main l’empêchant de continuer à escalader. Pénélope commence à avoir peur, elle ne voit plus le sol et le sommet est encore lointain, elle ne peut plus tenir, elle tombe…

- Madame.

En ouvrant les yeux, le soleil l’éblouit et elle aperçoit deux silhouettes sombres au-dessus d’elle.

- Bonjour Madame, c’est les pompiers. Vous avez fait une mauvaise chute. Ça va ?

Allongée sur le sable, elle a l’impression que sa tête va exploser. Sur sa gauche, son appareil photo, elle ne peut pas le prendre car son poignet la lance de douleur. Sur sa droite, elle voit un grand bloc de grès ressemblant étrangement à un chameau, bien immobile, figé dans son enveloppe rocheuse.

         Après lui avoir posé les questions élémentaires, les pompiers l’installent sur une civière et la conduisent jusqu’à l’ambulance. Tout est normal, les roches sont inanimées, les promeneurs flânent, profitant du beau temps et des enfants jouent aux petits indiens autour d’un tipi fait de grandes branches d’arbres. En arrivant elle a dû passer près de cette construction de fortune sans y faire attention.

         Pénélope attend un instant devant le camion, le temps que les secours préparent le brancard. Elle observe la forêt. Un lézard descend d’un arbre. Quelle horreur se dit-elle en détournant le regard puis quelque chose l’intrigue, c’est un lézard avec… Des lunettes !